L'existence de trois camps d'internement
au coeur de Paris durant l'Occupation n'est
ni connue ni reconnue. Il s'agit pourtant
d'un épisode central de la persécution des
Juifs de France, puisqu'il touche le statut
des personnes considérées comme juives,
les conditions de la déportation et surtout
l'un des volets de la spoliation, l'Opération Meuble, jamais décrite
auparavant.
Placée sous l'égide d'un service coiffé par Rosenberg, celle-ci visait
à vider tous les appartements juifs inoccupés et à expédier en
Allemagne leur contenu, des meubles les plus massifs aux objets
quotidiens les plus anodins. Cette vaste opération de pillage mobilisa
les entreprises de déménagement françaises et pas moins de 627 trains.
Ces camps, annexes de Drancy, virent passer au moins 800 détenus
juifs. Austerlitz, non loin de la gare, était installé dans un entrepôt des
Magasins généraux et compta jusqu'à 600 prisonniers. Lévitan occupait
un magasin de meubles, rue du Faubourg-Saint-Martin. Quant à
Bassano, il bénéficiait du décor raffiné de l'ex-hôtel particulier des
Cahen d'Anvers, au coin de l'avenue d'Iéna. Les prisonniers étaient
soumis à un véritable travail forcé pour trier, classer, réparer et emballer
meubles et objets. Certains manipulèrent le contenu de leur propre
appartement ou celui de leurs proches. Ils vivaient sous la menace
d'être envoyés «à l'Est» et beaucoup furent bel et bien déportés
dont, en juillet 1944, les femmes de prisonniers, vers Bergen-Belsen.
Il est indispensable de s'interroger sur les silences de la mémoire
autour des camps parisiens et de l'Opération Meuble. Certains
anciens détenus se sont constitués en amicale, demandant que leur
histoire soit enfin écrite. Une série d'entretiens avec eux, avec
d'autres survivants et avec des témoins a été menée. Une recherche
intensive dans une dizaine de centres d'archives a permis de trouver
des dossiers jamais consultés sur les camps parisiens. Ce travail, résultat
et d'une longue enquête et d'une réflexion sur ce qui constitue la
mémoire d'une période, apporte une pierre nouvelle à l'historiographie
de Vichy.