Revue d'histoire de la Shoah
Des philosophes face à la Shoah
S'il est vrai que la shoah est le désastre majeur du XXe siècle et qu'elle met en question le statut même de l'être humain, quel en est le retentissement dans la philosophie ? Les penseurs étudiés, dans leur immense majorité, furent contemporains du nazisme. Un abîme sépare cependant ceux qui, de près ou de loin, furent victimes (Améry ou Arendt, par exemple) de ceux, qui par leurs écrits et leur vie, ont acclamé le Reich et la « destruction des Juifs d'Europe », tels Heidegger. Comment les philosophes qui ont résisté (Améry, Jankélévitch notamment) pourraient-ils ressembler à ceux qui, en collaborant, ont contribué à faire sombrer la philosophie avec eux ? Comment d'autres, ni victimes ni acteurs de la Shoah, mais parfois témoins, pensent-ils ce qu'ils ont vu et vécu ?
Quels usages ces penseurs font-ils de la tradition philosophique pour penser les horreurs commises entre 1933 et 1945 ? Ces réactions éventuelles sont-elles de nature à éclairer la Shoah ? Ou plutôt à obscurcir encore ce comble de l'antisémitisme assassin ? Les travaux des historiens qui ont peu à peu mis en lumière la spécificité du génocide des Juifs et du crime contre l'Humanité ont-ils sollicité et instruit les philosophes ? Quelle est la légitimité du piédestal sur lequel on a hissé certaines célébrités philosophiques contemporaines ?
Il apparaît que la « Shoah des philosophes » ne ressemble ni à celle des historiens, ni à celle des écrivains tels Primo Levi, Imre Kertesz ou Leib Rochman. Si les premiers cherchent à édifier une connaissance objective et critique et les seconds une
élaboration sensible, l'attitude de la plupart des philosophes frappe par sa froideur, comme si l'intelligence conceptualisante devait se fermer à toute empathie.