Avec plus d'exigence que ses contemporains et sans passion
partisane, Leibniz s'est intéressé pendant plus de quarante ans
à la question religieuse que posait la Chine aux théologiens et
philosophes de l'Europe. La civilisation chinoise, par son ancienneté,
sa richesse, et sa haute valeur spirituelle, suscite en lui
une admiration qui exige de comprendre. Les matériaux qu'il
a recueillis, insuffisants, contestables, trop inscrits dans les querelles
du temps, furent cependant l'occasion de la plus belle
méditation que put faire en ce siècle un Européen confronté à
la culture chinoise.
L'affaire des rites, qui faisait grand tapage, le retient peu,
sauf pour mettre en garde contre le danger qu'elle fait courir
à la mission de Chine, et à la Compagnie de Jésus. Mais le fond
de la question concerne la philosophie de la traduction, ici
engagée dans les problèmes de la conversion et de la compatibilité
des religions. La nouvelle rigueur que Leibniz tire de
sa pensée mathématique applique aux sciences humaines des
procédés proprement structuralistes, et invente une méthode
pour une discipline qui n'existait pas : la grande Lettre à
Rémond, avec d'autres écrits, construit un modèle exact d'histoire
comparée des religions.