Doubar et autres récits du Goulag
Il est exceptionnel de découvrir une trace littéraire méconnue du Goulag. Tel est le cas des récits de Gueorgui Demidov, témoignages de ses quatorze années passées à la Kolyma, ce « pole de la férocité » de La géographie concentrationnaire soviétique pourtant riche en espaces inhospitaliers. « J'écris parce que je ne puis faire autrement ! » déclare-t-il, alors que ses récits circulent en samizdat. En effet, son témoignage ne peut pas voir le jour dans une URSS où, après une très superficielle déstalinisation, on enjoint l'oubli aux victimes des répressions. Pire, ses manuscrits sont confisqués en 1980, et n'ont pu être récupérés par sa fille qu'en 1988, après la mort de l'auteur (1986). Ils n'ont été publiés en Russie qu'après la perestroïka.
À la Kolyma, Demidov avait rencontré et côtoyé Varlam Chalamov, l'une des grandes voix du Goulag, alors infirmier à l'hôpital du camp, qui en a fait le personnage de son récit La Vie de l'ingénieur Kipreïev.
Gueorgui Demidov est chroniqueur de l'ordinaire, maître du menu détail, qui saisit ses personnages à un moment exceptionnel de leur vie. Se dessinent ainsi quelques visages comme des emblèmes de cette vaste machine à broyer les humains qu'était le Goulag : un peintre qui, obsessionnellement, représente des scènes du camp, un enfant mort-né qui apporte malgré lui de la douceur et de l'espoir au prisonnier chargé de l'enterrer, un ancien chanteur qui ne chante plus que pour la mort, et même un gardien, victime en un sens de la folie meurtrière qui domine L'univers du Goulag. Les récits de Demidov donnent à voir la terrible tension entre la lutte pour la vie et Les tentatives de préserver son humanité dans ces conditions.
La publication de ce recueil fait partie du projet de traduction intégrale de l'oeuvre de Gueorgui Demidov aux éditions des Syrtes. Cette voix singulière - celle d'un véritable écrivain, égal de Varlam Chalamov et d'Alexandre Soljenitsyne - pourra ainsi retrouver sa place dans la littérature.