Écrire la faim
Qu'est-ce qu'écrire la faim ? Comment la littérature peut-elle répondre à
une situation aussi extrême que celle d'un homme qui meurt de faim ?
Franz Kafka, en faisant le choix d'entrer en littérature, s'est condamné à
changer sa souffrance physique et personnelle en texte. Il meurt de faim
et de soif, atteint par une tuberculose qui dévore son corps, sa gorge
mais pas sa voix. Celle-ci, couchée par écrit, se réfugie dans la littérature.
Sa nouvelle intitulée « Un artiste de la faim » naît de cette épreuve.
Primo Levi, lui, se retrouve confronté dans les camps à l'épreuve de la
faim, aux corps suppliciés puis anéantis. A son retour, il se donne pour
tâche de reconstruire les voix englouties, d'en répercuter un son à travers
son témoignage.
Paul Auster, enfin, développe une oeuvre parcourue par la thématique
des ventres creux, des êtres abandonnés, escamotés dans une page
blanche. Il se place sous l'égide de ses prédécesseurs et écrit au-dessus
des mots des autres. Son oeuvre, véritable palimpseste, acclame le
pouvoir des vagabonds de la faim, d'une littérature qui laisse parler
les voix de la faim. Et ses personnages se perdent et s'effacent dans le
mouvement.
À la perturbation des corps vides répond la souffrance de ces écrivains
qui ont choisi de vivre et d'écrire presque en morts à l'humanité. Une
fois écrite, la voix de la faim a le pouvoir d'en donner une à ceux qui
n'en ont plus.