Pendant les guerres civiles qui ont déchiré la France au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle, la peur provoquait des massacres, soutenait les séditions, entretenait les haines. Elle restait malgré tout bien souvent un moyen de contrôle des populations. Les historiens et les mémorialistes qui ont rendu compte de l’époque terrible dans laquelle ils vivaient n’ont pas éludé la question du rôle des émotions dans la marche de l’histoire, mais leur nouvelle approche, plus centrée sur l’humain, n’en est pas plus objective. Mathilde Bernard s’attache à étudier la façon dont ces auteurs, de tendances politiques et religieuses diverses, exploitent la peur du lecteur à travers une écriture suggestive.
L’étude part d’une analyse des moyens conceptuels, lexicologiques et rhétoriques d’expression de l’émotion, pour montrer comment les historiens et mémorialistes l’exposent dans des cadres bien précis et fortement ritualisés : batailles, massacres, exécutions capitales. Au sein de la relation de ces peurs intégrées à une logique de combat, la régulation du pathos dans l’écriture est fonction de l’objectif poursuivi par les historiens et mémorialistes. Le jugement porté sur les peurs qui se déploient instaure une nouvelle hiérarchisation sociale et crée une nouvelle figure du héros, fragilisant la conception traditionnelle sur laquelle repose la société tripartite de l’Ancien Régime. Dans leur écriture de la peur, les historiens et les mémorialistes, à travers leurs opinions diverses, placent l’individu responsable, capable de réguler ses émotions, au centre de leur vision de l’histoire. Dans ce livre, Mathilde Bernard analyse la place de l’émotion dans une rhétorique de combat et explore les liens entre l’histoire en train de se faire et les procédés d’innovation stylistique qu’elle suscite chez ses témoins et acteurs.