Écrire l'histoire de l'Afrique est une entreprise aux racines plus anciennes qu'on ne le croit généralement. À l'ère de l'impérialisme triomphant, cette historiographie s'est affirmée dans un paysage intellectuel, politique et idéologique que cette étude s'attache à reconstituer. En France comme dans les territoires coloniaux, historiens et auteurs variés ont ainsi exhumé des pans entiers d'un passé dont on a progressivement découvert la richesse et la complexité.
Ce nouveau champ de connaissances né en situation coloniale mobilise, entre la fin du XIXe siècle et la décennie 1950, des énergies et des compétences nombreuses. Réseaux savants, revues scientifiques, historiens amateurs et professionnels, érudits locaux actifs dans les colonies comme en métropole conjuguent leurs efforts pour affirmer la légitimité de leur démarche et diffuser leurs découvertes. Leurs travaux contribuent à définir les contours d'un récit historique qui propose des interprétations, établit des chronologies et instaure des découpages dont certains ont survécu à la décolonisation. Bien sûr, cette histoire coloniale a partie liée avec les pouvoirs impériaux, soucieux de connaître les colonisés afin de les mieux dominer. Elle a longtemps renforcé le discours de légitimation de l'entreprise coloniale, le destin historique des peuples extra-européens étant - on s'en doute ! - d'être colonisés pour accéder à la « civilisation » ou à la « régénération ».
Mais plus contrastée et moins monolithique qu'on ne pourrait le croire, l'historiographie de la première moitié du XXe siècle a aussi contribué à produire des savoirs nouveaux sur l'Afrique, à expérimenter des modes d'enquête inédits, à promouvoir des chercheurs africains et à inventer ce que l'on nomme à l'époque l'« histoire indigène ». Dans les dernières années de la domination, plusieurs historiens français et africains sont également conduits à revisiter de façon critique les modèles interprétatifs dominants et à poser les bases d'une histoire de l'Afrique enfin décolonisée.