Des trois textes de Boris Pasternak réunis ici, seuls les deux premiers
- Sauf-Conduit, Hommes et positions - sont ouvertement autobiographiques.
Écrits en 1930 et 1956, ils racontent les naissances et les
renaissances de l'élan poétique, et suggèrent déjà les violences d'une
histoire dévoyée. Mais le troisième, le grand roman, Le Docteur Jivago,
dit ouvertement ce qu'ils ne disent pas jusqu'au bout : le rapport
profond d'une conscience libre à une époque qui asservit. C'est, en
arrière-fond de ces trois livres, la Russie soviétique qui se profile et se
dresse avec la grandeur terrifiante de ses débuts et la violence médiocre
et glacée des années qui suivent, celles d'un régime stalinien dont on
a peur de parler : époque de purges, d'exécutions sommaires, temps
du mensonge institutionnalisé. Ce qu'on ne peut décrire sans que «le
coeur se serre et les cheveux se dressent sur la tête».
L'art, s'il s'allie à la mémoire et à la pensée, a-t-il le pouvoir de
restaurer ce qui a été abîmé et perdu ? Pasternak l'a espéré et mis en
acte, au risque de sa propre vie : «De l'immense majorité d'entre nous,
on exige une duplicité constante, érigée en système. On ne peut pas,
sans nuire à sa santé, manifester jour après jour le contraire de ce
qu'on ressent réellement, se faire crucifier pour ce qu'on n'aime pas, se
réjouir de ce qui vous apporte le malheur» (Le Docteur Jivago, XV, 7).
C'est de cet espoir de rachat que parle ce livre, où l'on trouvera,
comme un contrepoint brutal à la splendeur de l'écriture et à la
sincérité du propos, Le Dossier de l'affaire Pasternak et, sous forme de
«Vie et oeuvre», une chronique de la vie de Pasternak indissociable de
l'histoire de l'Union soviétique, jusqu'à la mort de l'écrivain en 1960.