À l'âge de trente ans, Kandinsky change brutalement de vie. Cet ancien étudiant en droit à l'université de Moscou, engagé dans une carrière de professeur en sciences politiques et sociales, quitte Moscou pour devenir un étudiant en peinture à Munich. Il s'y révèle vite le stratège par excellence de la cause moderne. Dès son premier article, envoyé en 1899 à Moscou et consacré à la photographie, il ouvre une véritable campagne qu'il va mener durant toute sa vie. Son but est de protéger la création moderne en abolissant le pouvoir des institutions culturelles telles que l'Exposition, l'École et, tout particulièrement, la Presse, qui s'y opposent en exerçant leur droit de jugement, de jury, d'expertise, de critique, voire de diagnostic... Pour mettre cette machine au service de l'artiste et pour pouvoir ensuite parler, en exclusivité, au nom de son propre art, il faut " occuper " ces points stratégiques.
Encore aujourd'hui, la réussite de Kandinsky se fait sentir : rares sont en effet les écrits sur l'art du XXe siècle qui échappent à l'hypnose de ses formulations, telles qu'elles paraissent dans Du spirituel dans l'art. Revenir sur les années qui précédent cette publication « canonique », lire ses premiers articles écrits en russe à Munich en 1899-1911 est essentiel, non seulement pour comprendre la genèse de ses idées, mais aussi et surtout pour revenir sur les origines de la modernité artistique dans laquelle nous vivons toujours. De ces textes, nous proposons ici la première traduction française.