Il serait évidemment illusoire (et inutile) de tenter de recenser tous ceux qui ont tenu la plume en Normandie depuis le Xe siècle, et laissé derrière eux quelque ouvrage. Roger Jouet en retient dans ce livre environ 200, auxquels il consacre une notice plus ou moins développée. C'est dire qu'au-delà des incontournables Corneille, Flaubert, Maupassant et Barbey d'Aurevilly, il accueille beaucoup d'écrivains moins connus, parfois oubliés, mais non sans mérites. Qui se souvient encore d'Albert Glatigny, charmant poète mort à 34 ans en 1873 ? De Richard de Lison, auteur au XIIe siècle de l'un des meilleurs livre du Roman de Renart ? De Chênedollé, qui aurait peut-être éclipsé Lamartine s'il s'était davantage hâté de publier ? De Vauquelin de La Fresnaye, poète dans le goût de Ronsard et homme de tolérance dans un siècle troublé ?
Tous ces auteurs, Roger Jouet les évoque en s'attachant avant tout à leurs liens avec la Normandie. Y ont-ils vécu longtemps ? Y sont-ils revenus s'ils avaient dû la quitter ? A-t-elle inspiré leur oeuvre ? Que Roland Barthes soit né à Cherbourg est de peu d'intérêt, puisqu'il le doit au hasard et n'y restera qu'une année, sans plus jamais y revenir. En revanche, que Jacques Prévert choisisse de venir finir ses jours dans la Hague, et qu'il tombe amoureux de cette région, en fait presque un auteur normand. Plus que des biographies ou des études des oeuvres, c'est ce rapport à la Normandie que l'on a constamment privilégié.
Plusieurs originalités de ce livre : il accueille comme des écrivains à part entière les auteurs patoisants, trop souvent oubliés ou méprisés, et un chapitre leur est consacré. De même, il fait une place à de grands historiens qui, de Mezeray à Michel de Bouärd, ont honoré notre province par leur érudition et la qualité de leur plume. Et un chapitre enfin est consacré à ces grands « horsains », que la Normandie ne saurait revendiquer, mais qui les a parfois séduits, marqués, voire inspirés : de Balzac à Simenon, en passant par Hugo, Michelet ou Zola...
D'une plume alerte, qui n'exclut ni la critique ni l'humour, Roger Jouet nous fait parcourir dix siècles de littérature normande. Revendiquant le droit à l'arbitraire dans le choix des auteurs, il revendique aussi sa pleine liberté de jugement, qui lui fait préférer Saint-Amant au tyran des lettres Malherbe, et avouer ses réserves sur Barbey d'Aurevilly.