Il est le premier poète chinois connu. Immortel auteur et
quasi fondateur de la poésie classique, Qu Yuan (vers 343
- vers 279 av. J.-C.) devint un mythe dès après sa mort
tragique lorsque, chargé de sable, il se laissa engloutir dans
l'intimité de l'eau par une nuit lunaire. Plus que le gravier,
c'est le poids du désespoir qui l'empêcha de remonter à
l'air de ce pays de Chu qu'il aima tant. Il en décrivit les
forêts profondes, les fleurs odorantes, les bêtes étranges, les
femmes séduisantes. Accablé par le désamour du prince,
cherchant vainement une compagne pour adoucir son
exil, affligé de ne rencontrer aucun sage qui le comprît,
dégoûté de ce monde turbide, il jugea bon de s'en éloigner
à jamais.
Dans ses vers somptueux, parfois précieux, il décrivit
les cieux multiples où il erra, sur son char attelé de dragons,
accompagné de phénix et d'êtres fabuleux, parmi
les esprits et les astres. Il dit la suavité des parfums du Sud,
l'angoisse qui le saisit dans les ténèbres végétales, la douceur
des eaux vives de son pays. Il chanta encore le charme
des femmes qui dansèrent à la cour, la gaieté des chants qui
résonnèrent au palais, les saveurs des mets épicés du Midi,
la somptuosité des nobles demeures...
Les Élégies de Chu comprennent aussi des poésies de ses
disciples qui, aux siècles suivants, reprirent à sa suite les
thèmes qui lui furent chers. Beaucoup parlèrent de bannissements,
d'errances lointaines, d'êtres fantastiques escortant
leur voyage erratique, quête d'amours et de sagesses.