Bien qu'abstraite, l'oeuvre de Chillida échappe au jeu de l'idéalisme pur et géométrique de l'abstraction
formelle comme au matérialisme de l'abstraction brute. Elle ne vise ni une réalité stable et intemporelle
surplombant la nature et son devenir ni les profondeurs du chaos primitif. Elle trace plutôt une voie entre
ces deux extrêmes et découvre un monde - celui-là même que nous habitons - étranger et familier à la fois,
transformé et pourtant reconnaissable.
Or ce monde n'est pas avant tout celui des choses, mais des éléments (la lumière, le feu, l'eau, l'air), véritable
alphabet naturel dans lequel s'écrit notre existence, entre ciel et terre. Si l'artiste transforme la matière, ça
n'est pas afin de lui échapper, mais afin d'en libérer un nouveau visage et une nouvelle sonorité, afin de la
laisser rêver. C'est ainsi, comme le disait Bachelard, que le matérialisme externe de la pensée scientifique et
technique s'efface devant le matérialisme songeur de l'art et que la lévitation l'emporte sur la gravitation.