Éloge de l'oubli
Il serait moral de se souvenir et immoral d'oublier - cet absolu éthique fait aujourd'hui consensus.
Et si c'était un leurre ? Car les choses ne sont pas si simples, comme le rappelle David Rieff. À la lumière de son expérience de reporter de guerre, en s'appuyant aussi sur la longue fréquentation des grandes pensées du souvenir (Yerushalmi, Ricoeur, Margalit, Todorov, etc.), il interroge la nécessité d'entretenir une mémoire collective autour des tragédies du passé.
Qu'il soit imposé par les vainqueurs ou par des victimes décidées à obtenir réparation, le souvenir collectif est toujours politique, la plupart du temps partial, intéressé et tout sauf irrécusable sur le plan historique. Il conduit bien trop souvent à la guerre plutôt qu'à la paix, au ressentiment plutôt qu'à la réconciliation, hypothéquant ainsi le difficile travail du pardon - comme en témoignent aujourd'hui maints endroits de la planète, des Balkans à l'Afrique en passant par le Moyen-Orient. L'exercice de mémoire collective, plaide David Rieff, doit être considéré comme une option, non comme une obligation morale. Parfois, en effet, il est plus moral - sinon raisonnable - d'oublier.
« Il y a un fantôme dans toutes les commémorations publiques. Ce fantôme, c'est la politique. »