En temps normal
Où l'on découvre - mais ce n'est pas vraiment une surprise - que les gens dits normaux, appelés à fréquenter un temps qui leur ressemble, ne sont jamais bien loin de ce qu'on appelle la folie. Les protagonistes de ces drôles d'histoires (drôles parce que Ridgway possède comme peu d'autres l'art d'instiller l'humour dans le corps de l'horreur ordinaire) se côtoient, se frôlent, parfois se mélangent, tout en restant aux yeux les uns des autres de parfaites énigmes. Chacun mène son train, poursuit ses lubies, obéit à d'incompréhensibles pulsions ; chacun se débat en secret avec le regret, la honte, la cruauté, le désir de vengeance, le crime, le fanatisme, l'incompréhension, la maladie, la mort ; et tous ou presque finissent par se noyer dans les eaux noires de la solitude. Mais l'ami Ridgway, alchimiste de la fiction, a le don de vous transmuer tous les ingrédients de cette comédie inhumaine en une substance émouvante et, pour tout dire, de la plus haute humanité : au point qu'on en vient vite à considérer comme des frères tous les zozos biscornus qu'il nous convie à fréquenter ici quelques heures durant. Au point, surtout, une fois la dernière page tournée, qu'on finit par se regarder d'un autre oeil dans la glace.