Lorsque mon navire, appelons-le l' Okeana, quitta le port cosmopolite de Glasgow, il contenait une cargaison d'histoire, y compris du mal-être et de la maladie, mais aussi une force suprahistorique. Je savais qu'il suivrait un itinéraire capricieux, plein de turbulences et de zones de fracture, en créant malgré tout, j'en avais la certitude, un rapport original à l'univers et un espace-temps qui exigerait beaucoup de cartographie. Un critique écrivit un jour que j'étais un activiste social qui interrompait souvent ses activités par de longues retraites. Cette description serait sans doute plus exacte si l'on en inversait les termes : je suis fondamentalement un solitaire qui, de temps à autre, interrompt son isolement par les coups d'éclat de son activité publique.
« L'autobiographie est irrésistible », dit Oscar Wilde, et celle de Kenneth White, fondateur des concepts de géopoétique et de nomadisme intellectuel, l'est certainement. Tout commence à Glasgow, petite ville ecclésiastique devenue enfer de la révolution industrielle et qui fut pour le jeune White un poste d'observation riche en réflexions. Suivent Munich, Paris, l'Ardèche et d'autres errances à travers le monde, sur la piste de Bashô en remontant au nord du Japon, dans les terres gelées du Labrador ou les archipels tropicaux. De ces voyages découlent des rencontres littéraires et intimes qui, enrichies par son étude poussée de la philosophie occidentale, lui permettent de dessiner un paysage mental inédit. Kenneth White reprend la plume pour nous livrer toute l'étendue d'une vie qu'on croirait romancée, tant elle est ouverte aux quatre vents du monde, à l'image de son oeuvre.