Il est souvent fascinant de découvrir la première oeuvre d'un
philosophe, celle par laquelle il accède à lui-même ; ainsi de cet Essai
sur l'État (1918). Tous les thèmes essentiels approfondis dans les
oeuvres ultérieures de Capograssi y sont déjà présents : la nature et la
fin de l'État, la question de la crise moderne de l'individu, la nécessité
de se mettre à l'écoute de l'expérience commune et ordinaire,
l'affirmation de l'égalité de tous les êtres humains comme fruit de la
«révolution» opérée par le christianisme.
La méthode de Capograssi est décidément celle de Vico, dont
il donne ici une interprétation très riche : comme lui, il est convaincu
qu'on ne peut envisager les institutions à travers lesquelles l'humanité
cherche à s'humaniser en en ignorant la généalogie, c'est-à-dire
en feignant de croire que tout a commencé avec la considération
scientifique de la réalité. Selon lui, il existe un savoir non critique,
mais de toute façon certain, qui précède la recherche philosophique
et qu'on ne peut se contenter d'ignorer. Éclairer la nature de l'État,
c'est donc devoir commencer du début : avant toute possibilité de
considération scientifique. En deçà, en somme, de toute possibilité
de «morgue des doctes».
D'où la ductilité de la pensée de Capograssi, sa proximité avec
la vie concrète, et la patiente douceur de son style philosophique ;
qualités essentielles pour la tâche qu'il se donne en interrogeant
l'État, car c'est «précisément à l'heure où sa taille est devenue
titanesque et ses forces irrésistibles, que son autorité a déchu» et
qu'il s'agit en conséquence de «justifier» l'État, non pas dans son
«concept», mais dans sa «vie», c'est-à-dire d'en justifier l'«histoire»,
en en retrouvant «la raison, la moralité, la logique, la vie qui
le rendent une activité humaine» ; et ainsi de «le faire nôtre», afin
qu'il reflète «notre humanité dans sa substance».