«Considérons pour cette heure l'homme seul, sans secours étranger, armé seulement
de ses armes, et dépourvu de la grâce et connaissance divine, qui est
tout son honneur, sa force, et le fondement de son être. Voyons combien il a de
tenue en ce bel équipage». Les Essais sont autant de tentatives pour fixer les
contours en mouvement d'un moi «monstrueux», projet demandant de libérer
l'esprit de ses carcans dogmatiques pour le rendre à la libre expression de
son infini «besoin d'interpréter». Redécouvrant dans le scepticisme des Anciens
«une liberté et gaillardise» perdues dans le champ de la pensée, Montaigne
enregistre une expérience intellectuelle intransigeante qui n'hésite pas à
«secouer les limites et dernières clôtures des sciences». Un tel renouvellement
de la situation d'énonciation philosophique transforme dès lors l'usage que
nous pouvons avoir de cette oeuvre qui, récusant toute prétention de formation,
invite ses lecteurs à poursuivre l'exercice spirituel qui a fondé son parcours,
pour en faire par eux-mêmes l'essai.