Récemment se sont multipliés les rapports, documents ou recommandations relatifs à l’éthique du numérique : le gouvernement anglais ne songe-t-il pas ainsi à créer une « Data Authority », en charge du contrôle éthique des applications de l’intelligence artificielle. Cette profusion de textes et d’initiatives atteste d’une perte de repères et de maîtrise du développement d’une technologie toujours plus puissante mais également au fonctionnement de plus en plus opaque y compris par ceux qui l’utilisent. L’intelligence ambiante et artificielle conduisent de plus en plus nos destinées humaines et l’avenir de nos sociétés. La gouvernance des sociétés change de mains au profit des géants du Net ? En même temps que la parole se libère, elle devient parfois haineuse, fausse et nous manipule ? Quel peut dès lors être le rôle de l’éthique face à cette réalité et éviter que l’invocation à cette dimension ne devienne un alibi ? En quoi, les vertus prônées par cette dernière: l’autonomie, la dignité, la justice sociale et relayées par les droits de l’homme peuvent nous aider à retrouver une certaine maîtrise collective et individuelle d’une technologie aux développements imprévisibles. L’éthique n’a-t-elle pas à exiger que la technologie soit au service de l’homme, de ses libertés individuelles et publiques, de sa dignité et de nos démocraties ? Elle a à le faire non seulement en rappelant des principes mais surtout, très pragmatiquement, en veillant au cœur de nos entreprises, de nos administrations à introduire cette préoccupation. Au-delà, l’appel éthique renvoie à un devoir de l’Etat à la fois d’éduquer chacun à cette dimension critique et de créer des lieux où se discutent les enjeux et les développements de la technologie.
Yves Poullet est professeur émérite et recteur honoraire de l’UNamur, et professeur associé à l’UC Lille. Il copréside le NADI (Namur Digital Institute) qui regroupe 150 chercheurs de diverses disciplines réunis autour du thème : « Numérique et Société ». Il est membre de l’Académie royale de Belgique. Il a rejoint, depuis un an, la Chambre contentieuse de l’autorité belge de protection des données.