Pendant longtemps, on fera d’Eugénie Grandet le chef-d’œuvre de Balzac, à l’instar d’Emile Faguet, sous la Troisième République, pour qui, d’ailleurs, l’on pouvait résumer la Comédie humaine à ce roman-là en particulier. Pourquoi un tel enthousiasme, et, dans le même temps, un tel réductionnisme? Car, Balzac réussit dans ce roman de jeunesse mûre, il a alors trente-cinq ans, à jouer sur tous les tableaux, sans choquer, et sans renoncer pourtant à sa griffe incisive qui fait de ses scènes, des satires de la Restauration.
L’intérêt de l’œuvre est que les coups portés par Balzac à la société des années 30 nous font toujours mal, presque deux cents ans après. La cupidité du père Grandet, fin en affaires, âpre au gain, schizophrène dans son rapport à l’argent, cachant la fortune qu’il vénère, c’est un peu chacun de nous, produits de cette même civilisation où l’argent est roi et le profit souverain.
L’innocence d’Eugénie, c’est celle de la jeunesse de notre siècle, incapable de mettre en doute le réel, avalant sans digérer des mètres cubes d’information via l’internet, susceptible de tomber amoureuse, comme elle, du premier cousin venu par Facebook interposé. In relationship with...
Charles Grandet, le cousin, c’est ce jeune homme à la mode qui promet le mariage à sa germaine - proie facile, et qui finit par oublier ses folies d’ado pour prendre un bon parti. Le genre col Mao en 68, Rotary Club en 2008. Le genre révolutionnaire du dimanche matin rue Mouffetard. Qui vous laisse dans la bouche une amertume franche et détestable.
L’humanité en prend donc pour son grade, et c’est cela que l’on aime sous la plume de Balzac. Ce réalisme sauvage dans sa violence. Ce talent d’enchanteur rusé, de compteur primesautier. Et la modernité d’un texte, qui, par bien des côtés, donne des dimensions chabroliennes à une fiction “comique”, autant que peut l’être cette comédie humaine.
La présente édition reprend le texte de l’édition Charpentier, parue en 1839.
Avec ce livre, Blazac dévoile l’origine des bobos, ces bourgeois si bohème, détenteurs de fortune, mais amateurs d’infortunes.