Rarement exposés dans les musées, ou dispersés dans des collections privées, les éventails peints par les impressionnistes et leurs successeurs sont peu connus du public. Ce sont pourtant près de trois cents oeuvres qui ont été réalisées au cours des vingt dernières années du XIXe siècle, portant les prestigieuses signatures de Manet, Degas, Morisot, Pissarro, Gauguin, et plus tard de Signac, Denis ou Bonnard. Des « éventails », incontestablement, puisque ces oeuvres en adoptent le format caractéristique, et que les peintres eux-mêmes les ont désignés sous ce nom.
La production de ces artistes conduisait tout naturellement à interroger les relations entre la « grande peinture » et l'éventail en remontant dans l'histoire : si rapide soit-il, ce panorama permet de constater que, depuis le XVIIe siècle, les tableaux des maîtres - Carrache, Guido Reni, Le Brun, plus tard Watteau ou Boucher - ont servi d'inspiration aux peintres d'éventails, et que quelques-uns de ces maîtres en ont réalisé. On les imite encore au XIXe siècle, ce qui incite certains artistes, légitimés par ce passé prestigieux, à en peindre eux-mêmes. Mais, incontestablement, l'intérêt des impressionnistes pour le format de l'éventail trouve sa source fondamentale dans le japonisme. L'ouverture du Japon à l'Occident dans les années 1860 provoque en effet un afflux considérable d'objets et d'estampes, dont l'iconographie et les caractéristiques stylistiques enrichissent profondément la recherche picturale européenne.
Les tentatives des peintres d'avant-garde pour échapper à l'académisme ont donc été nourries de ces images et ont trouvé, entre autres, un champ d'application dans l'éventail, dont le format insolite se prêtait aux hardiesses de composition. Très vite on y relève des corrélations avec le reste de leur oeuvre : coïncidences de mise en page, de couleurs, de thèmes, au point que certains peintres copient parfois leurs propres tableaux. Les éventails constituent donc une sorte de miroir en réduction du style de chacun : les fulgurances de Degas, les harmonies décoratives de Gauguin, les féeries rurales de Pissarro, l'humour de Toulouse-Lautrec, nous les retrouvons, intacts, dans le format du demi-cercle.
Ainsi se dessine à travers les pages de cet ouvrage une histoire parallèle et passionnante de l'itinéraire pictural de ces artistes, qui ont réalisé de petits chefs-d'oeuvre à découvrir.