"Exégèse des Lieux communs", livre terrible sous son apparente cocasserie, se présente sous la forme de quelque trois cents textes en deux séries où sont analysées, interprétées et commentées une à une les expressions toutes faites par quoi se traduit la «sottise bourgeoise». Comme Flaubert avec son "Dictionnaire des idées reçues", Bloy s’attaque férocement à l’homme «qui ne fait aucun usage de la faculté de penser» et se contente d’un répertoire limité à quelques formules toutes faites. L’énumération des lieux comuns fait ressortir la prédominance des préoccupations d’argent: «Les affaires sont les affaires, Qui paie ses dettes s’enrichit, Les bons comptes font les bons amis», etc. D’autres expriment avant tout la bonne conscience et l’assurance qu’il n’est besoin d’être ni un héros ni un saint pour mériter considération: «On ne se refait pas, Je m’en lave les mains, Être à cheval sur les principes», etc. Bloy s’empare à chaque fois d’une expression, et la poussant au terme de sa logique secrète, en déduit magistralement l’imbécillité ou la perversité cachée du petit bourgeois qui l’emploie. Mais ce n’est là qu’un artifice de méthode pour laisser entendre que sous chacune de ces paroles mortes subsiste la vertu inchangée de la Parole sacrée. Bloy interprète avant tout les lieux communs à la lumière de l’Écriture et le mot «Exégèse» doit être entendu ici dans son sens précis. Ce qu’il tente, c’est de tirer de l’absurdité même, ou de la pesanteur humaine, ce qui peut s’y dissimuler qui appartient à la révélation de Dieu aux hommes. Toute parole, selon lui, est «réellement dérobée à la Toute-Puissance créatrice», si bien que «les plus inanes bourgeois sont, à leur insu, d’effrayants prophètes». Dès lors, le sens le plus mystérieux réapparaît sous les pires platitudes, et le génie contemplatif et verbal de Bloy parvient sans cesse à tirer du plus pauvre langage la solennelle attestation du mystère de notre humaine nature.