« Selon mon père, les mois de juillet et d'août étaient l'époque idéale pour un voyage en Sicile. En réalité, il n'était soleil ni canicule qui eût pu l'obliger à tomber la veste, le gilet et le chapeau, les chaussures montantes, le col dur et la cravate. Dans cette tenue, et une valise à chaque main, il se mettait en route avec moi pour son village. En sa qualité d'employé des Douanes il avait droit à un billet annuel gratuit pour lui et sa famille. Et c'était l'argument décisif pour vaincre les perplexités de ma mère qui voyait partout des dangers et des dépenses, particulièrement dans les voyages. "De la frontière suisse à la pointe de la botte, disait-il, personne n'utilise ce billet mieux que moi." Et il prenait le billet pour Trapani, sachant très bien qu'il n'irait pas plus loin que Palerme et renoncerait au dernier morceau du trajet. Il regrettait seulement de ne pas avoir dix enfants, pour pouvoir imposer aux Chemins de fer de l'État une plus grande charge, une plus grande dépense. »
Trois décennies s'écouleront avant que le narrateur ne se décide à renouer avec le rituel voyage du père au pays de ses origines, l'espace de quelques jours d'un été ardent, le temps de retrouver les oncles et les tantes qui sont restés au village, et qui vieillissent, entourés de leurs proches. Étrangement, rien n'a changé à Roccalimata en ces années soixante... C'est ce portrait intact d'une Sicile aussi secrète que mythique que nous dévoile Piero Chiara avec ces soleils écrasants, ces scènes de famille hautes en couleur, ces amours dérobées et ces confessions bouleversantes.