À vrai' dire, ça a commencé bien avant. Mais je pourrais tout aussi bien prétendre que ça a commencé ce soir-là, quelques jours après mon retour de Witz.
C'était peut-être vers les dix heures, peut-être une demi-heure plus tard. Peu importe. En tout cas, une bise à décorner les boeufs. Schummertal. Novembre. Et moi, le coeur lourd comme un vieux torchon mouillé.
Je vais donc au Central, prendre un café pomme. J'avais déjà claqué le fric que j'avais reçu en sortant de taule, j'sais pas comment. Donc ce soir-là, pas un rond, mais une terrible envie de café pomme, de compagnie et de bruits de voix.
Faut quitter Schummertal ! est une véritable plongée - attendrissante et truffée d'anecdotes - dans la tête d'un marginal. Raconter des histoires est sa manière à lui d'éviter les conflits et de colmater une faille intérieure trop profonde.
Écrit par Pedro Lenz dans un dialecte suisse alémanique, le Bärndütsch de Haute-Argovie, ce roman a pour titre original Der Goalie bin ¡g - littéralement « Le gardien, c'est moi ». Goalie est un conteur intarissable, un peu défaillant. Il adore les bonnes histoires, il ne cesse d'en raconter, à lui-même et à qui veut bien l'écouter.
Bouc émissaire perpétuel, Goalie doit son surnom à un épisode de jeunesse où il s'est fait passer pour un gardien de but afin de protéger le véritable gardien de la colère des joueurs. Escroc sympathique, il a tendance à endosser les torts des autres et à se faire embobiner. Fraîchement sorti de prison, il revient sans un sou à Schummertal, sa ville natale. Il cherche à rompre avec son passé, avec la drogue, et à se construire une vie nouvelle. Son coeur flanche pour Régula, la serveuse.
Régula finit pourtant par conclure que ce n'est pas d'une femme dont a besoin Goalie, mais d'un public pour l'écouter. Et c'est une vieille histoire qui va lui être fatale.