De Georges Gurvitch (1894-1965), on retient son parcours académique en
France, où il devint professeur à la Sorbonne. On a salué son engagement
lorsqu'il fallut reconstruire la sociologie durkheimienne après la Deuxième
Guerre mondiale. On connaît enfin son rôle dans la mise en place des premières
unités du Centre National de la Recherche Scientifique. Sa revue les
Cahiers Internationaux de Sociologie paraît aujourd'hui encore. En revanche,
on ignore le plus souvent les influences qui ont guidé sa vie intellectuelle et
imprégné l'oeuvre entière de celui qu'on nommera le «pape de la sociologie
française» après-guerre.
Sur la base d'un matériel bio-bibliographique inédit, les éditeurs lèvent le
voile sur le détour de Gurvitch par l'Allemagne en publiant le premier des
trois volumes de ses écrits allemands consacré à son travail méconnu sur
Johann G. Fichte. Après un article préparatoire paru au début des années
1920, Gurvitch y revient en détail à l'occasion de sa thèse de doctorat, traduite
en français pour la première fois dans ce recueil. Il la défend à Berlin, où il
pensait faire carrière. Au lendemain des révolutions russes et allemandes, et
après la Grande Guerre, la prise en compte de la doctrine morale du célèbre
philosophe berlinois lui semble alors inéluctable pour que les sciences
sociales retrouvent leurs marques. Convaincu de son fait, Gurvitch revient
longuement sur Fichte, lui consacrant une notice dans l'Encyclopédie des
Sciences Sociales d'Alvin Johnson et d'Edwin Seligman, ou publiant une
recension remarquée d'un livre de Marcel Guéroult sur Fichte, deux contributions
reprises dans ce volume.
Suspendu au fil d'une écriture exigeante, le lecteur pénètre une oeuvre restée
longtemps close et découvre l'histoire oubliée d'un homme et de son milieu
intellectuel où se côtoient, depuis Berlin, Allemands et Russes qui auront
contribué à façonner le visage de la sociologie française contemporaine.