Dans l'ombre immense de Hegel et de Heidegger, deux juifs philosophes
s'engagent dans l'aventure philosophique en renouant à leur manière avec
les orientations critiques de la pensée kantienne. Mais là où Weil dégage
le sens formel d'une universalisation raisonnable soucieuse de prendre en
charge la totalité concrète du réel, Levinas en appelle, lui, à l'intrigue
dissymétrique d'une responsabilité pour l'autre, relation éthique paradoxale
qui ne cesse de déchirer la trame du discours cohérent. Qu'il puisse y avoir
des rapprochements entre ces trajectoires contrastées n'autorise ni à les
identifier ni à les «relever» à l'intérieur d'une dialectique englobante. Mais
les laisser se provoquer et se répondre dans une sorte «d'entretien infini»
pourrait contribuer à maintenir vive, en nous et entre nous, la vigilance
jamais assez réveillée d'une liberté appelée à la responsabilité.