Gourmande, la fin du XIXe siècle français l'a été sans complexe d'hygiène ou d'esthétique. Les ouvrages de l'époque destinés aux maîtresses de maison de toutes conditions montrent qu'on mange alors beaucoup, et autrement que nous, pourvu toutefois qu'on ait quelque argent. Les différences entre les classes sont très marquées. Les manières de table ont aussi une grande importance. Une «morale alimentaire» s'épanouit donc : elle est personnelle, sociale, politique et religieuse.
Les écrivains étaient bien entendu concernés par tout ce qui touche à cette «gourmandise» régnante : à travers la nourriture, ils pouvaient marquer fortement leurs interrogations sur les rapports avec le corps, la femme, la société, la religion. Par ce moyen privilégié, Vallès dit son opposition à toute discipline. Jules Renard vomit les mets comme une mort. Laforgue exprime son obsession régressive, Apollinaire sa joie de vivre, mais aussi sa hantise de l'imposture, Daudet montre son ambiguïté devant son Midi natal, Dujardin l'aboulie contemporaine. C'est Maupassant et Huysmans qui offrent la plus riche palette de thèmes et de genres : le premier dit l'aliment comme délice gourmand et érotique, mais retourne sa célébration en critique sociale, en fantastique, sadisme, promesse de mort ; le second va du réalisme aux raffinements, au satanisme, puis à l'exaltation de l'hostie.