Devant la démesure et la minutie de Flora danica, cette encyclopédie gravée de la flore
du Danemark, commencée en 1762 à la demande du roi et achevée en 1883, nous
sommes sans voix. À l'abri dans leurs grands volumes reliés et cuirassés, les planches
des graveurs n'incitent guère au palimpseste. Mais Pierre Alechinsky a fait ses armes dans le
mouvement CoBrA (1948-1951) - auprès de Christian Dotremont et d'Asger Jorn -, mouvement
issu du surréalisme, lui-même issu du dadaïsme ; il est donc partisan d'une nécessaire liberté
face à l'image sacralisée. Il ne s'est pas pour autant jeté sur les exemplaires rares. Non : avec
l'aide de quelques amis, il a collecté depuis 1982 des planches déjà détachées, trouvées chez
des brocanteurs et dans les marchés aux puces ; puis, d'abord avec un peu d'hésitation ou
de scrupule, il a lancé son pinceau sur ces entrelacements de fleurs, de feuilles et de tiges, ce
recensement de moisissures et de champignons, pour y cultiver comme un jardin secret.
Des visages, des regards, des coiffures, des gestes, des revenants : la spontanéité du dessin
contre la rigueur de la science ? Plutôt le dessin avec la science. L'image originelle burinée devient
presque cachée, visible mais retenue : Alechinsky l'a détournée de sa vocation pour nous inviter
à sa rencontre, d'un trait d'encre fulgurant : «C'est une brève de pinceau qui fait apparaître le
personnage, ses deux bras en l'air. Et ce, dans une vitesse visible. Donc volontairement lisible.»