Une voix éclate : «elle m'a largué cette conne... je suis mal... il faut
m'enfermer sinon je vais la tuer !». Christophe, livide, est prostré dans le
couloir des urgences. Toute la nuit, il détaille les moments d'une enfance
heureuse entre un père, une mère et une grande soeur attentionnée, que
traversent de longues périodes d'ennui parfois voluptueuses. Il évoque
l'impression de ne jamais voir son désir de vivre pleinement réalisé, son
tiraillement entre l'envie irrépressible d'agir et celle de ne plus bouger.
Stéphane, publicitaire, ne voit plus le temps passer. Depuis trop
longtemps, les jours se ressemblent inéluctablement : il revêt, tous les matins,
le même dynamisme affecté pour aller travailler, se rend aux mêmes fêtes de
fin de semaine et se réveille avec la même gueule de bois les dimanches
blêmes. La rencontre de Laure chez des amis ou celle de Marie dans un bar
sont identiques. Il les accueille avec le même sourire lassé et n'en attend rien.
D'une même voix que Fernando Pessoa, il semble dire à tout ce qui l'entoure :
«Dans tout cela, qu'y a-t-il d'autre que moi ? Ah, mais l'ennui c'est cela,
simplement cela. C'est que dans tout cela - ciel, terre, univers -, dans tout cela,
il n'y ait que moi !»
Enfants du néo-libéralisme, Christophe, Stéphane et bien d'autres de leurs
contemporains n'ont pas connu la Shoah, la guerre d'Algérie ou Mai 68. Ces
événements s'inscrivent pourtant au coeur de leur souffrance. A la croisée d'un
contexte social-historique réel, et de cryptes collectives transmises d'une
génération à l'autre, les folies contemporaines mettent à jour les
investissements inconscients du champ social. Elles révèlent, par-delà l'OEdipe
ou les mythiques figures parentales, les contenus sociaux, économiques,
politiques de l'inconscient.