En matière de connaissance des réalités collectives, Freud
n'a-t-il été que cet amateur mal éclairé ou ce partisan d'une
réduction aveugle du social au psychique que la plupart des
commentateurs du siècle passé ont réprouvé ?
Cet ouvrage montre, au contraire, que le père de la psychanalyse
fut, sous bien des aspects, bel et bien un sociologue.
Mais un sociologue paradoxal et singulier, attentif tant à l'hétéronomie
du monde social qu'à son entrelacement complexe
avec le monde du psychisme individuel. Et si cette drôle de
sociologie n'a donné lieu à aucune systématisation finale, elle
s'est déployée de manière assez cohérente et différenciée, au
fil d'une oeuvre dont elle n'occupait pas le centre, mais que
cette marginalité, paradoxalement, émancipait.
La fécondité d'un tel engagement théorique se mesure à l'intérêt
qu'il nourrit pour les formes émergeantes, indécises ou
instables du social. Bref, pour un social qui ne s'est pas encore
solidifié, qui ne peut ou ne peut plus le faire, ou le fait au détriment
des personnes. D'où l'importance de thèmes comme
ceux de l'individuation, de la contrainte, de la souffrance et
de la violence.
À l'heure où les sciences sociales tentent de franchir les frontières
que les sociologues classiques avaient tracées pour
mieux isoler leur objet par rapport à certaines altérités essentielles
(la société et la nature, la société et l'individu, la
société et la violence destructrice, etc.), les incursions sociologiques
du fondateur de la psychanalyse méritent de nouveau
d'attirer l'attention.