«Autrefois, l'homme n'avait qu'un corps et une âme. Aujourd'hui, il
lui faut en plus un passeport, sinon il n'est pas traité comme un
homme», notait Stefan Zweig dans ses Souvenirs d'un Européen
quelques mois avant son suicide au Brésil.
Fuir l'Allemagne dès 1933, l'Autriche à partir du printemps 1938, puis
l'Europe entière en 1941 aura été la principale préoccupation de
centaines de milliers d'errants, juifs pour la plupart. Sans passeport,
ces naufragés se trouvaient hors la loi, donc hors des protections de la
loi, interdits de sortie ici, d'entrée là.
Debórah Dwork et Robert Jan Van Pelt détaillent le calvaire de ces
existences fantômes, de ces personnes connues (Anne Frank, Walter
Benjamin) ou inconnues, suspendues à l'obtention d'un visa, d'un
affidavit, au passage en fraude d'une frontière, à l'exil vers
l'étranger (en Europe, mais aussi à Shanghai, à Sosúa en République
dominicaine, en Palestine...), et la façon dont ces hommes et ces
femmes devinrent, loin de chez eux, des adultes déracinés, sans repères
et sans codes. Debórah Dwork et Robert Jan Van Pelt narrent étape
après étape l'abandon d'un peuple condamné à mort.