Contrairement à ce que laisse accroire une maxime pour nous sans âge - Nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu, rien n'est dans l'intellect qui n'ait été auparavant dans les sens - le concept comme le lexique de la « sensation » (sensatio en latin) sont entrés très tardivement sur la scène philosophique, dans la première moitié du XVIIe siècle. Leur apparition nécessitait en effet un double processus d'unification, de l'instance psychique et de la causalité physique. Ce processus s'est amorcé certes tardivement, mais les catégories scolaires n'en ont malheureusement retenu qu'une version, celle de Descartes, dans laquelle pourtant ni le lexique ni le concept de sensation n'ont leur place. On peut alors fixer la tâche d'une généalogie : remonter aux sources multiples de cette double unification, à ses diverses formulations, ainsi qu'aux divergentes théories du sensible auxquelles elles ont donné lieu. La sensation se révèle alors être moins l'expression d'un « climat idéologique » que la résultante de choix théoriques précis, tant dans le domaine de la physique que dans celui de la physiologie ou encore de la psychologie. Ces choix permettent en outre d'établir plus précisément les coordonnées de l'empirisme moderne.