Publié en allemand en 1934, Genèse et développement d'un fait
scientifique est l'un des textes les plus importants jamais écrit en
épistémologie. Avec lui, Ludwik Fleck (1896-1961) inaugure ce
qu'on appelle aujourd'hui la sociologie ou l'histoire sociale des
sciences et entreprend d'élaborer une théorie de la connaissance
qui sera reprise dans les années 1960-1970 par Thomas Kuhn.
À partir du cas idéalement complexe de l'histoire de la syphilis
et, plus particulièrement, de la «réaction» de Wassermann,
l'auteur élabore une vision extrêmement originale de l'activité de
recherche et de la production de nouveaux savoirs scientifiques.
Fort de sa propre expérience de bactériologiste et d'immunologiste,
Fleck montre que les «faits scientifiques» sont construits par
des groupes de scientifiques qui définissent autant de «collectifs
de pensée». Chaque collectif possède un «style de pensée»
spécifique, avec des normes, une conceptualité et des pratiques
particulières. Fleck s'intéresse au fonctionnement du collectif, à
l'incommensurabilité des faits scientifiques produits par différents
collectifs, aux conséquences de cette incommensurabilité,
ainsi qu'aux transformations des styles de pensée.
La pensée riche et complexe qu'il propose intègre des analyses
qui, portant aussi bien sur la psychologie des chercheurs
que sur leurs techniques matérielles ou sociales, s'intéressant
à la recherche médicale comme aux conditions de l'élaboration
d'une théorie de la connaissance, rendent compte de la réalité
de la production des savoirs scientifiques au moment
où émergent les technosciences.