Génial et génital
« La gueule fendue jusqu'aux oreilles ! Génial ! Un bon
coup de burin dans la tête ! Génial ! Croître, vieillir et
mourir ! Génial ! Tout ça parce que ma femme est une
pondeuse de concours ! Sniff ! Sniff ! Quel parfum atroce
et divin ! Atrocement Génial ! Divinement Génital ! »
À chaque nouvelle humiliation, à chaque nouveau coup
porté à leur dignité, les personnages des quatre nouvelles
de ce recueil en redemandent. Communiquer, disent-
ils, Ordonne-moi d'exister, La mutation des êtres, C'est
comme tu veux, Na, le ton est donné: les narrateurs,
doubles de l'auteur, sont des faibles, moins soumis à la
tyrannie de leur « petite-soeur » qu'à la spirale de leur
désir masochiste. Un enfer (bouddhique) des passions
où la jubilation et le rire, un rire sauvage, omniprésent,
un rire nietzschéen, sauvent l'auteur et son oeuvre du
cynisme et de la noirceur.
Pour beaucoup, le Cambodgien Soth Polin est l'écrivain
d'un seul livre, L'Anarchiste, livre culte écrit en 1979,
quelques mois après la chute du régime de Pol Pot. Il existe
pourtant d'autres pépites, inédites en français, comme
ce Génial et génital, publié dix ans plus tôt, où, avec une
hargne et une lucidité extrêmes, l'auteur ruminait déjà
ce désespoir proprement « polinien », désespoir à la fois
personnel (je suis un minable), historique (la décadence,
depuis Angkor) et métaphysique (il est humiliant d'être
humain).