La France fut une oeuvre de l'Esprit. Un découpage territorial indiqué par la nature, mais précisé par une volonté politique, ne s'incarna que tardivement dans la réalité quotidienne des relations humaines. Sous son nom d'aujourd'hui, elle est née autour de l'an mil, dans un cadre géographique qui, à partir des grands axes de circulation établis par le relief et les eaux, avait été délimité et unifié par la conquête romaine. Mais la géographie restait fondée exclusivement sur quelques grands contrastes : seul le sentiment national, de longue date établi dans les pensées et dans les rêves, cimenta réellement, pendant des siècles, ce grand corps amorphe qui ne correspondait à aucune unité fonctionnelle. La France des Temps Modernes était déjà une Idée, mais ce n'était encore qu'une Idée.
A cette structure simple, la Révolution Industrielle, le développement des transports et la centralisation ont substitué une géographie infiniment plus complexe, marquée par l'émergence de spécialisations agricoles et industrielles régionales, l'apparition de réseaux urbains hiérarchisés. C'est entre 1875 et 1914 qu'est atteint le maximum de diversification de l'espace français. Sous la strate culturelle supérieure, dont l'homogénéisation avait été assurée par la Contre-Réforme et les grandes routes royales, un prodigieux émiettement de la culture populaire traduit une volonté d'individualisation des moindres cantons. Les déchirures issues du traumatisme révolutionnaire aboutissent à une géographie religieuse et électorale déroutante qui sera longtemps d'une étonnante stabilité. Une et multiple, la France de cette époque exprimait par d'infinies diversités le cloisonnement des cellules naturelles et la variété des modèles sociaux face à la centralisation politique et au marché unique.
Ce tableau, au XXe siècle, va se simplifier. La seconde Révolution Agricole va estomper une grande partie des spécialisations régionales, et l'essor de l'audiovisuel va réaliser une profonde unification des cultures et des comportements. On parvient à un modèle d'organisation du territoire considéré comme un tout dans une politique volontariste d'aménagement qui ne doit plus grand-chose à la disposition de l'isthme générateur de cet espace, non plus qu'aux grandes lézardes héritées du passé.