Très vite, le prodigieux QI et la vulnérabilité du bébé Ralph
ont fait de lui l'objet de toutes les convoitises : celle du docteur
Steimmel, une psychiatre en mal de reconnaissance, qui
veut lui disséquer le cerveau. Celle des services secrets du
Pentagone qui voient en l'enfant un précieux atout stratégique.
Celle, enfin, des tenants de la religion désireux de vérifier
sur lui l'efficacité de leurs rituels d'exorcisme...
Brutalement arraché à son père, un universitaire aussi
ambitieux que frustré, et à sa mère, une artiste peintre qui
doute de son talent, Ralph, qui refuse de parler mais maîtrise
avec brio le langage écrit, relate les enlèvements dont
il est successivement victime sans cesser de rédiger des notes
sophistiquées inspirées des nombreuses lectures que lui a
procurées sa mère adorée dont l'amour inconditionnel et
désintéressé fait figure d'unique repère au milieu de l'hystérie
générale.
Les réflexions intentionnellement pédantes du bébé mutique
constituent l'un des points forts de ce récit jubilatoire où
Percival Everett détourne les conventions du discours savant
au profit d'une savoureuse composition romanesque en convoquant
tour à tour le traité de physique, la controverse sémiotique
ou l'essai philosophique. Parodie de structures et de
genres, satire des milieux universitaires au fil de démonstrations
délirantes et de dialogues improbables entre Socrate et
James Baldwin ou Wittgenstein et Nietzsche, ce roman irrévérencieux
se plaît à malmener nombre d'icônes du postmodernisme,
dont Roland Barthes, qui y apparaît en "protagoniste
invité" sous les traits d'un clown burlesque aux propos abscons...
Dans ce récit mené tambour battant où l'érudition rencontre
l'absurde comme son envers obligé, Percival Everett,
à travers les tribulations de son bébé héros, propose une
réjouissante peinture des névroses dont se nourrit l'aventure
humaine.