Il n'est pas rare de voir au cinéma les monstres sévir en temps
de crise. Le Japon d'après-guerre demeure sans nul doute
un lieu de prédilection qui se prête à l'incarnation, à travers
tout un bestiaire protéiforme, de plusieurs périls enfantés par
l'inconscience des hommes. Godzilla et ses avatars, par leurs
ravages cataclysmiques, perpétuent cette image d'une nation
victime des forces de la nature ou des dérives génocidaires
de la science. Même l'optimisme suscité par le spectaculaire
redressement économique du Japon qui s'amorce au début
des années 1950 est nuancé par l'action néfaste des monstres,
qui en symbolisent les effets négatifs sur la société nippone
(pollution, impérialisme économique et déclin spirituel). Le
kaiju eiga (film de monstres) demeure encore aujourd'hui un
genre qui continue d'alimenter l'enthousiasme d'irréductibles
amateurs du monde entier et à offrir aux théoriciens un
indicateur intéressant de l'évolution de la société japonaise
depuis 1954, année de sortie du premier Godzilla.