Dès 1946, Lucien Febvre avec sa fougue et son brio habituels avait
vigoureusement attiré l'attention sur Guillaume Briçonnet dont le fils
de même nom, pionnier de la Réforme en France, retenait seul le
regard des historiens.
Pourtant, si le secret de sa personnalité nous échappe en grande partie, sa
destinée a de quoi fasciner. D'abord bourgeois et marchand de Tours comme ses
ancêtres, il sert ensuite successivement trois rois en cette période indécise que
l'on ne sait où situer vraiment entre ce qu'il est convenu d'appeler Moyen Âge et
Renaissance : secrétaire de Louis XI, puis quasi-surintendant des finances sous
Charles VIII, membre éminent de son Conseil, devenu homme d'Église et
cardinal pour s'y maintenir, principal auteur de la première guerre d'Italie et
pour finir soutien de Louis XII dans son affrontement avec le pape Jules II. C'est
pourquoi, quand on veut bien s'occuper de lui, on le dépeint comme un arriviste
sans scrupule et un prélat sans conscience.
Sans vouloir à tout prix réhabiliter le personnage, il faut voir que, sans jamais
perdre de vue la défense de ses intérêts personnels et de ceux de son clan, il s'est
jeté avec résolution, voire avec conviction, dans toutes les grandes affaires de
son temps, en première ligne sur tous les fronts : l'essor des finances publiques,
l'affirmation d'un pouvoir royal, entier dans son affirmation et modéré dans son
application, l'exaltation de la mission impériale et messianique du roi de France,
la croisade contre les Turcs, la protection de l'humanisme naissant, le mécénat
artistique, la bonne gestion de l'Église gallicane, enfin l'ultime bataille livrée
pour la supériorité du concile général contre la primauté absolue du pape.
Lucien Febvre avait raison de le dire. Fils de ses oeuvres, il a ouvert avec
éclat la longue série des cardinaux-ministres qui ont pendant trois siècles si
honorablement servi la monarchie française.