Les amants les plus scandaleux du XXe siècle en furent
aussi les deux plus importants philosophes. En 1924,
Hannah Arendt a dix-huit ans. C'est une jeune étudiante
avide de savoir, mince, avec des yeux rayonnants et une
intelligence vive comme l'éclair. Elle rencontre Martin
Heidegger, trente-quatre ans, marié et père de famille, qui
enseigne la philosophie à l'université de Marbourg. De
petite taille, maigre et d'allure sportive, introverti, plein de
fureur mais aussi d'une surprenante modestie, il attire à
son cours les étudiants les plus prometteurs, notamment
Hans-Georg Gadamer, Max Horkheimer, Herbert Marcuse,
Karl Löwith, Günther Anders, Leo Strauss, Hans Jonas...
Comme l'expliquera quarante ans plus tard Hannah
Arendt, «la rumeur le disait : la pensée est redevenue
vivante, les trésors de la culture qu'on croyait morts
reprennent sens. Il y a un maître, il est peut-être possible
d'apprendre à penser».
Entre Arendt et Heidegger débute alors une liaison durable
et turbulente où l'amour et la philosophie vont s'entre-mêler.
Avec en toile de fond un moment dramatique de
l'histoire intellectuelle, celui qui, en Allemagne, a vu la
pensée «allemande» et la pensée «juive» séparées dans
la violence.