Ecrivain francophone né en Belgique au carrefour de langues rivales, Henri Michaux met à l'épreuve le critique autant qu'il égare son lecteur ordinaire. Son œuvre, en effet, avec l'inflexion d'une voix polymorphe mais immédiatement fraternelle, se donne à lire comme une mémoire dévastée de la culture occidentale.
Le présent ouvrage s'interroge sur le sort des connaissances et des croyances détournées de leurs fonctions et de leurs objets par un artiste dont la curiosité insatiable fait table rase de tous les grands modèles de discours. Un poète hérétique qui bouscule la forme et la matière de l'Essai, ou de l'autoportrait - survenues jadis avec Montaigne - pour se faire le porte-voix des voix spoliées du XXe siècle.
La confrontation des textes et recueils majeurs publiés de 1922 à 1984 - année de la mort d'Henri Michaux - montre que, chez lui, le parti-pris des «passages» contre les impasses de l'identité appelle une physique de la phrase, dégagée des catégories conventionnelles des grammaires et des genres. Il convient donc d'entrer dans la prosodie paradoxale de cette pensée rebelle aux savoirs, vouée à l'exploration du trouble du corps et des replis de l'esprit.
Ce livre tente de montrer comment l'œuvre de Michaux, commencée dans le désarroi et dans l'urgence, peut se faire entendre aujourd'hui pour ce qu'elle est devenue : une génératrice de vie ouverte à l'inconnu et, par là même, une entreprise de désaliénation.