"Nos malheurs, ce sont ces flemmards de curés qui en sont la cause" ! Cette affirmation vaut la prison et une amende à son auteur en 1538. En effet, hostile à la Réforme religieuse, le canton se positionne fermement pour le maintien de l'ancienne foi catholique. "Le protestantisme ne va pas fort à Fribourg", lit-on aussi dans une correspondance. Peut-être est-ce pour se démarquer du choix de Berne, la puissante république, éternelle rivale ? Mais au quotidien, mieux vaut transiger avec les principes et conserver des liens de bon voisinage. Lorsqu'il se rend aux réunions des délégués des cantons suisses, le député de Fribourg s'arrange avec son collègue bernois pour partager les frais du voyage. Et Fribourg sait exploiter l'appétit de l'ours qui regarde vers la Savoie pour tripler, en moins de vingt ans, l'étendue de son propre territoire !
Une fois calmées les turbulences des réformes religieuses du XVIe siècle, la petite république s'érige peu à peu en citadelle catholique. Formées au collège des jésuites, les élites nourrissent des prétentions aristocratiques, confortées par les succès d'une économie alpestre et d'élevage tournée vers l'exportation. L'Europe monarchique les considère comme des bourgeois mal dégrossis ou des nobles paysans. Peu leur importe ! Engagés dans des carrières militaires au service des princes, ils tirent profit de la "grandeur despotique de la France". Comme l'a dit un historien éclairé du XVIIIe siècle, qui en bénéficia largement lui-même, l'argent français "a corrompu ceux-là même qui dans leur propre intérêt devraient être incorruptibles".
Durant deux siècles, conçus pour durer, pouvoirs politiques et religieux se sont arrangés comme les deux faces d'une même pièce. Dès les années 1780, les tourmentes de l'âge des révolutions en surprennent plus d'un, avant de rebattre les cartes. L'histoire ne saurait se figer.