Je suis parti, en historien, sur les traces des grands-parents que je n'ai
pas eus. Leur vie s'achève longtemps avant que la mienne ne commence :
Matès et Idesa Jablonka sont autant mes proches que de parfaits étrangers.
Ils ne sont pas célèbres. Pourchassés comme communistes en Pologne,
étrangers illégaux en France, Juifs sous le régime de Vichy, ils ont vécu
toute leur vie dans la clandestinité. Ils ont été emportés par les tragédies
du XXe siècle : le stalinisme, la montée des périls, la Seconde Guerre
mondiale, la destruction du judaïsme européen.
Pour écrire ce livre, j'ai exploré une vingtaine de dépôts d'archives et
rencontré de nombreux témoins en France, en Pologne, en Israël, en
Argentine, aux États-Unis. Ai-je cherché à être objectif ? Cela ne veut pas
dire grand-chose, car nous sommes rivés au présent, enfermés en nous-mêmes.
Mon pari implique plutôt la mise à distance la plus rigoureuse et
l'investissement le plus total.
Il est vain d'opposer scientificité et engagement, faits extérieurs et
passion de celui qui les consigne, histoire et art de conter, car l'émotion ne
provient pas du pathos ou de l'accumulation de superlatifs : elle jaillit de
notre tension vers la vérité. Elle est la pierre de touche d'une littérature
qui satisfait aux exigences de la méthode.