À évoquer le blasphème, on voit aussitôt surgir tout un monde de marins, de charretiers, d'artisans et de soldats. Jardinieu, palsambleu, morbleu et autres jurons sont à tout propos dans la bouche de ces soudards, fanfarons, athées, anticléricaux, ainsi que les nommes les théologiens et les magistrats.
C'est en rencontrant la répression du blasphème dans les codes disciplinaires maritimes qu'Alain Cabantous, professeur d'histoire moderne à l'université de Paris I-Sorbonne et historien de la mer, a entrepris une enquête systématique sur la parole impie, entre les Réformes et le premier XIXe siècle. Par fidélité au second commandement, « Tu ne prononceras pas en vain le nom de Dieu », une véritable police de la langue veille à la stabilité d'un monde dans lequel sacré et profane sont profondément liés. Révélateurs de la non- ou mal-croyance, de la violence, des codes d'une corporation, le blasphème constitue un fait social qui mobilise la parole et ses usages, les pouvoirs ecclésiastique, politique et judiciaire, les structures et les représentations des sociétés de l'Europe moderne.
Ainsi l'histoire du « péché de langue » rejoint celle des multiples procédures mises en oeuvre pour christianiser l'Occident et adoucir les moeurs. S'il semble s'effacer au XIXe siècle, il n'y a là qu'apparence : la parole blasphématoire témoigne de ce qui, pour chaque époque, demeure sacré.