«Où commence ma mémoire ? Parfois il me semble que
ce n'est que vers quatre ans, lorsque nous partîmes pour
la première fois, ma mère, mon père et moi, en villégiature
dans les forêts sombres et humides des Carpates. D'autres fois
il me semble qu'elle a germé en moi avant cela, dans ma chambre,
près de la double fenêtre ornée de fleurs en papier. La neige tombe
et des flocons doux, cotonneux, se déversent du ciel.
Le bruissement est imperceptible. De longues heures, je reste
assis à regarder ce prodige, jusqu'à ce que je me fonde dans
la coulée blanche et m'endorme.»
Avec Histoire d'une vie, Aharon Appelfeld nous livre quelques-unes
des clés qui permettent d'accéder à son oeuvre : souvenirs
de la petite enfance à Czernowitz, en Bucovine. Portraits de ses
parents, des juifs assimilés, et de ses grands-parents, un couple
de paysans dont la spiritualité simple le marque à jamais.
Il y a aussi ces scènes brèves, visions arrachées au cauchemar
de l'extermination. Puis les années d'errance, l'arrivée en Palestine,
et le début de ce qui soutiendra désormais son travail : le silence,
la contemplation, l'invention d'une langue. Et le sentiment
de l'inachèvement lié au refus obstiné de l'autobiographie,
dans son acception la plus courante : histoire d'une vie.
Comme si le dévoilement de ce que chacun a de plus intime
exigeait une écriture impersonnelle.