Ce second volume consacré aux Sites de la mémoire russe poursuit et complète un relevé de la civilisation russe qui s'inspire des Lieux de mémoire de Pierre Nora. Ni articles sociologiques ou anthropologiques, ni encyclopédie, c'est un choix des topoï de la mémoire russe. Lieux et institutions de cette mémoire dans le tome I, consacré à sa géographie, grandes étapes de son fonctionnement et dysfonctionnement dans ce tome II, consacré à son histoire.
Le « récit historique russe » naquit au début du XIXe siècle, avec Nikolaï Karamzine. Il est étayé par « l'invention » des Antiquités russes, la série des Chroniques commencée sous Nicolas Ier et poursuivie aujourd'hui, les lettres écrites sur écorce de bouleaux découvertes depuis 1951 dans les fouilles de Novgorod. Peinture et musique russes ont grandement contribué à ce récit et sont donc amplement traitées, tout comme l'histoire de l'Église et du sentiment religieux.
Le mythe dominant est celui de Pierre le Grand, on verra combien le premier empereur prit soin de le forger lui-même. Mais il y en a bien d'autres : celui de la révolte russe (Stenka Razine, Pougatchov, les décembristes, Octobre 1917), ou « Moscou Troisième Rome ». Le corps embaumé de Lénine, la silhouette de Staline réapparue aujourd'hui témoignent des soubresauts de cette mythologie.
L'extraordinaire succession des calendriers russes, la terreur d'Etat, la perte des mémoires ouvrière et paysanne sous le pouvoir soviétique reflètent l'instabilité mémorielle. À quoi s'ajoutent les diptyques « réformateur au bord de la disgrâce (Stolypine) / héros encensé quel que soit le régime (Souvorov) », ou encore révolution « d'en haut » tandis qu' « en bas » on réclame une main de fer.
La richesse et la grandeur impressionnantes de cette mémoire se conjuguent avec les crises d'amnésie et d'hypermnésie. Autant de paradoxes plus actuels que jamais pour comprendre la Russie.