Dans un monde globalisé où les repères fondent avec la rapidité d'une banquise au soleil, la France se raccroche à sa gloire viticole comme à une bouée de sauvetage. Si elle n'a pas de pétrole, elle possède des vignobles prestigieux dont les jaillissements rouges et blancs évitent à son commerce extérieur de sombrer. Ses terroirs et son savoir-faire uniques lui permettent de produire des nectars qui font d'elle la référence en matière de vin. Cette place incontestable, le Français n'imagine pas la devoir à autre chose qu'à son unique talent. Et pourtant...
Observons de plus près une bouteille de Bordeaux. Le flacon de 75 cl est une invention anglaise, le bouchon de liège vient du Portugal, le vin qu'il renferme est issu de vignes américaines plantées sur des terroirs créés par des Hollandais, et son prix est déterminé par des journalistes tout-puissants dont aucun n'est né en France. A sa sortie du chai, elle prendra le bateau pour être bue aux quatre coins du monde. Car telle a toujours été sa vocation première. Et le Français, dans tout ça ? Il lui reste la fierté de tenir le sécateur...
L'excellence du vin français, plus que de l'alchimie, procède surtout de l'histoire et de la géographie. C'est un cheminement plein d'accidents, de quiproquos et d'événements improbables qui a amené la France, presque malgré elle, à son rang de première puissance viticole mondiale. Et si notre vignoble n'avait été créé que pour assouvir les appétits de nos voisins ? Si nos crus les plus prestigieux devaient tout à des nations dépourvues de vigne ? Il se pourrait qu'en matière de vin, on réalise que ce n'est pas la France qui tourne autour du monde comme un soleil radieux, mais bien l'inverse.
Il est temps de changer de perspective...