« Le problème qui se pose à nous est donc celui de la compatibilité entre le libre
exercice de l'instinct sexuel et les contingences, les exigences de la lutte révolutionnaire. Baiser, baiser beaucoup, serait-ce nuire à l'action révolutionnaire ou au contraire l'exalter ? »
Ce passage tiré de la première partie d'Homosexualité et révolution illustre assez bien l'esprit dans lequel Daniel Guérin rédigea, au début des années 1980, ce petit essai paru aux cahiers du Vent du ch'min. Le « problème » qui s'est posé à lui, durant quasiment toute sa vie de militant révolutionnaire, a bel et bien été que son homosexualité ne soit pas considérée - et surtout dans les milieux révolutionnaires - comme un élément venant contredire ses engagements politiques. Le préjugé anti-homosexuel largement répandu dans la société française - surtout à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale - l'obligea longtemps, comme de nombreux homosexuels ou bisexuels de sa génération, à maintenir une frontière relativement étanche entre sa vie privée et sa vie de révolutionnaire. Il n'était cependant pas homme à se satisfaire d'une telle contradiction. Convaincu qu'aucune lutte d'émancipation n'est plus légitime qu'une autre, c'est tout « naturellement » - et « subjectivement » compte tenu de la dimension réconciliatrice qu'elle avait pour lui - qu'il inscrivit, très tôt, celle de l'homosexualité à la liste de ses combats. Avec les moyens du bord. 1968 est venu, vingt ans après le début de cette lutte particulière, lui donner raison.
Quarante-cinq ans plus tard, à une époque où le mariage pour tous vient signer la volonté du « mouvement » homosexuel - pour autant qu'un tel mouvement existe - d'intégrer l'un des dispositifs les plus traditionnels du fonctionnement de la vie sociale, il est passionnant de relire ce petit essai d'un homme qui n'a jamais eu peur d'affirmer sa singularité, par amour de la liberté et de la justice... et parce qu'il savait que la révolution ne peut se contenter de demi-mesures.