Idylles bucoliques
Chevriers, bergers, bouviers... Regardez-les vivre en Italie du Sud, en Sicile, dans les îles grecques : vous verrez s'exprimer toutes les passions humaines dans leur fraîcheur originelle. Le poète grec Théocrite, au IIIe siècle avant notre ère, l'a bien senti qui a pensé qu'en regroupant dans un recueil dix idylles « bucoliques », il pourrait composer le Livre total que tout créateur rêve d'écrire - plus près de nous, Mallarmé a lui aussi fait ce rêve.
L'oeuvre ainsi conçue, moins naïve que son objet ne le laisserait attendre, a été d'une fécondité extraordinaire : elle est à l'origine de tout un mouvement littéraire et artistique, prenant les formes les plus diverses, dans l'Antiquité comme encore de nos jours (que l'on songe, entre mille exemples, au film d'Éric Rohmer, Les Amours d'Astrée et de Céladon). Cependant un certain mystère n'a cessé de planer sur sa nature même. Bien qu'elle fût toujours placée en tête des écrits de Théocrite par la tradition manuscrite médiévale et déjà antique (les « papyrus »), elle y offrait l'image d'un désordre radical, impossible à comprendre sinon par une mort surprenant le poète en plein travail de mise au point définitive : quelques menues imperfections sont perceptibles dans les derniers poèmes (sans doute encore en cours de révision) et elles ont servi de prétexte à la critique savante, depuis la fin du XVIIIe siècle, pour introduire des corrections pouvant aller jusqu'à des transformations sinon même des exclusions véritablement abusives. Dans ces conditions, il est heureux que Théocrite ait eu le temps d'organiser son recueil selon une structure cachée que d'aucuns qualifieront même d'ésotérique, mais qui - si on la comprend - garantit l'authenticité de son dessein. Les travaux récents de plusieurs savants ont permis de la retrouver et elle est ici respectée, permettant, en même temps qu'un nouvel ordre, une nouvelle lecture et véritablement une nouvelle jouissance de l'oeuvre. Le texte lui-même a pu être amélioré par une fidélité plus grande à la tradition manuscrite.