Pourquoi tous ces morts au beau milieu de l'Afrique coloniale ?
Pourquoi cet oubli incompréhensible ? Ce silence, que rien
ou si peu ne vient troubler ? Les faits, pourtant historiques, se
sont déroulés au vu et au su de tous, décidés en plein coeur
de l'Europe consciente, documentée, active. Tout a été écrit,
lu, dénoncé, prouvé, argumenté. À aucun moment, il n'a été
possible de l'ignorer, même par courtoisie. Mais comme par
un enchantement diabolique, les morts du Congo, victimes
de Léopold II roi des Belges, ont disparu sans laisser de
traces. Ils se sont littéralement volatilisés. Pas une ligne dans
les livres d'histoire. Aucun souvenir dans la mémoire des
peuples. Pas de résurgences en ces temps de repentance.
À croire que l'existence même de ce crime de masse, qui a
précédé tous les autres, est sujette à caution.
On parle aujourd'hui de dix millions de morts et disparus
entre 1885 et 1908, soit le tiers de la population concernée.
Sans compter les mutilés, impossibles à dénombrer. Dix
millions, victimes de la cupidité d'un seul. A-t-on déjà vu cela
dans notre époque «moderne» où pourtant les exemples ne
manquent pas ?