C'était déjà la féminisation de la pauvreté, l'insécurité sexuelle et la
montée des intégrismes qui avaient motivé, il y a dix ans, la première
édition de ce recueil. Le constat négatif que je faisais alors, loin d'être
obsolète, est plus que jamais d'actualité. Les nouveaux textes de cette
réédition attestent une régression, une contre-libération menaçantes.
La Passion de l'Un enracine sa violence symbolique sur le lieu même
du réel, de la source (pro)créatrice, et y érige sa souveraineté et les pouvoirs,
religieux, politiques et intellectuels qui s'ensuivent. En jetant un
voile d'ignorance sur l'envie d'utérus qui la hante, la protestation virile,
la paranoïa mènent une guerre unilatérale et sans merci contre les femmes,
esclavagisées tant par une économie libidinale phallocentrée
(échangiste et libertine) que par une économie politique capitaliste
(libre-échangiste et ultralibérale).
Libérer à sa source la libido creandi des femmes, c'est lancer un défi
permanent à cette guerre et s'ouvrir à la géni(t)alité des deux sexes. Se
souvenir que le premier environnement de chaque humain est un corps
vivant, parlant ; se souvenir qu'on naît d'une femme (et aussi d'un
homme) et en éprouver de la gratitude, c'est abolir un ordre symbolique,
tyrannique, hégémonique ; c'est vaincre l'addiction spéculaire de
Narcisse, s'évader des dogmes et des illusions des religions du Livre ;
c'est stopper la spéculation du Tout-marchandise, du Tout-profit ; mais
c'est aussi, sans doute, commencer à penser.
La gestation, hospitalité psychique autant que charnelle, comme
paradigme de l'éthique, de la responsabilité et du don ?
Génitrices, généalogistes, archéologues, archives et archivistes de
l'espèce humaine, des femmes ont commencé à vivre leur nouvelle
«condition historique», à inscrire la genèse d'une modernité tardive.
C'est l'hypothèse positive que réaffirme cette nouvelle édition.