Dernier grand conflit «classique» du XXe siècle, la guerre Iran-Irak
(1980-1988) évoque pour les observateurs européens une guerre conventionnelle
opposant deux États. Mais c'est aussi celle d'une fantasmagorie
de l'islam combattant. Dès lors qu'en Iran une nouvelle catégorie de soldats,
les volontaires islamistes, revendique sa vocation au martyre, cette
guerre convoque un imaginaire de sacrifice porté par des représentations,
notamment cinématographiques, où le martyre à la fois renforce et défie les
logiques de mobilisation.
Pour comprendre les enjeux historiques, politiques et idéologiques de
cette guerre, mais aussi comment elle a été menée et vécue au quotidien
par les combattants et les citoyens iraniens, Agnès Devictor analyse l'étonnante
production de films de guerre tournés en Iran durant le conflit. Si
une partie d'entre eux reste très influencée par le cinéma hollywoodien,
en dépit de la Révolution de 1979 et de la condamnation de l'Amérique
comme «Grand Satan», une autre cherche à élaborer un genre spécifique
à l'Iran, en cohérence avec l'idéologie de la jeune République islamique et
avec l'imaginaire shi'ite du martyre. Ainsi, des réalisateurs ont recours à de
nouveaux codes narratifs et esthétiques pour raconter le conflit en se référant
à la mythologie de la Bataille de Karbalâ, affrontant alors un des tabous
les plus forts du cinéma de guerre : montrer la mort de ses propres forces
combattantes durant un conflit. Et c'est au sein du cinéma documentaire,
dans les films réalisés par les équipes de Mortezâ Âvini et suivant une ligne
hautement idéologique, que des propositions très singulières ont lieu, porteuses
d'une modernité cinématographique inattendue.
Partant des films et s'appuyant sur un travail d'entretiens réalisé en Iran
pendant près de dix ans avec ceux qui ont tourné, mis en scène ou produit
ces films durant la guerre, cet ouvrage dévoile un pan inconnu du cinéma
iranien, celui où créateurs d'images, combattants et martyrs partagèrent sur
les champs de bataille le destin de l'Iran.